L’enfant[1]
O, horror !horror ! horror !
—SHAKESPEARE,Macbeth
Les Turcs ont passé là.Tout est ruine et deuil.
Chio, l'île des vins,n'est plus qu'un sombre écueil,
Chio, qu'ombrageaient lescharmilles,
Chio, qui dans les flotsreflétait ses grands bois,
Ses coteaux, ses palais,et le soir quelquefois
Un choeur dansant de jeunesfilles.
Tout est désert. Mais non; seul près des murs noircis,
Un enfant aux yeux bleus,un enfant grec, assis,
Courbait sa tête humiliée
Il avait pour asile, ilavait pour appui
Une blanche aubépine, unefleur, comme lui
Dans le grand ravage oubliée.
Ah ! pauvre enfant, piedsnus sur les rocs anguleux !
Hélas ! pour essuyer lespleurs de tes yeux bleus
Comme le ciel et comme l'onde,
Pour que dans leur azur,de larmes orageux,
Passe le vif éclair de lajoie et des jeux,
Pour relever ta tète blonde,
Que veux-tu ? Bel enfant,que te faut-il donner
Pour rattacher gaîment etgaîment ramener
En boucles sur ta blanche épaule
Ces cheveux, qui du fern'ont pas subi l'affront,
Et qui pleurent éparsautour de ton beau front,
Comme les feuilles sur le saule ?
Qui pourrait dissiper teschagrins nébuleux ?
Est-ce d'avoir ce lys,bleu comme tes yeux bleus,
Qui d'Iran borde le puits sombre?
Ou le fruit du tuba, de cet arbresi grand,
Qu'un cheval au galop met,toujours en courant,
Cent ans à sortir de son ombre ?
Veux-tu, pour me sourire, un beloiseau des bois,
Qui chante avec un chant plusdoux que le hautbois,
Plus éclatant que les cymbales ?
Que veux-tu ? fleur, beau fruit,ou l'oiseau merveilleux ?
Ami, dit l'enfant grec, ditl'enfant aux yeux bleus,
Je veux de la poudre et desballes.
[1]Les orientales, V. Hugo,Page 94-95